L’occupation à titre gratuit d’un bien immobilier par un héritier constitue-t-il un avantage indirect devant être rapporté dans la succession du défunt usufruitier dudit bien ?
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Une mère était usufruitière d’un bien immobilier dont ses deux fils étaient nu-propriétaires indivis.

L’un d’eux a occupé une partie de ce bien à titre personnel et professionnel pendant 44 ans sans verser de loyer mais en prenant à sa charge de nombreuses dépenses d’entretien et d’amélioration. Son autre fils a assigné son frère en justice pour qu’il soit rapporté à la succession la somme de 261.536,49 euros au titre de l’avantage indirect procuré par l’occupation à titre gratuit du bien immobilier familial. Le fils occupant faisait valoir qu’il avait réalisé des travaux en 1971 et 1972 en vue de rendre habitable la propriété familiale, or pour être rapportable, un avantage indirect doit avoir causé un appauvrissement du défunt. Il ajoutait que le montant dû au titre du rapport ne pouvait excéder l’appauvrissement du gratifiant. La cour d’appel a déduit des loyers qui auraient dû être versés le montant des travaux payés pour le compte de l’usufruitière (c’est à dire les réparations d’entretien) alors qu’elle aurait dû tenir compte de l’ensemble des réparations incombant à celle-ci en sa qualité de bailleresse ce qui incluant les grosses réparations. Pour rappel, tout héritier venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement, sauf si ces dons ont été faits expressément hors part successorale (article 843 du code civil). Compte tenu du fait que la propriété de l’immeuble occupé était démembrée, il convenait d’articuler les règles propres au démembrement de propriété prévoyant que l’usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien, les grosses réparations demeurent à la charge du nu-propriétaire (article 605 du code civil) et celles relatives au droit du bail qui met à la charge du bailleur les réparations nécessaires autre que locatives incombent au bailleur (article 1720 du code civil). La Cour de cassation a rejeté le pourvoi aux motifs qu’il n’était pas démontré que l’immeuble n’était pas, à l’époque où les travaux ont été réalisés, en état d’être mis en location. De surcroit, le gratifié cumulait les obligations d’un locataire et d’un nu-propriétaire, ainsi il ne pouvait réclamer à l’usufruitière le remboursement des travaux qui, tout en constituant des réparations autres que locatives – en cela mises à la charge du bailleur par l’article 1720 du Code civil –, relevaient du domaine des grosses réparations imputées au nu-propriétaire par l’article 605 du Code civil. Elle en a ainsi déduit que celui-ci était tenu d’une indemnité de rapport égale aux loyers qui auraient dû être payés si les lieux avaient été loués, après déduction du seul montant des réparations et frais d’entretien incombant normalement à l’usufruitière. Depuis 2012, la Cour de cassation retient que l’avantage indirect résultant de la mise à disposition gratuite n’est soumis au rapport qu’à la condition que soit rapportée la preuve d’un appauvrissement du disposant et d’une intention libérale de ce dernier (Cass. Civ 1 ère 18 janvier 2012 10-25.685 / 10- 27.325 / 11-12.863 ; Cass. Civ 1 ère 25 juin 2014 13-16.409). Dans cet arrêt du 2 mars 2022, la solution adoptée par la Cour de cassation semble résulter de la durée particulièrement longue de l’occupation gratuite (44 ans) ainsi qu’à l’usage mixte de la propriété, servant à la fois de logement et de cabinet de médecin à l’enfant bénéficiaire. Cour de cassation, 1 ère Chambre civile, 2 mars 2022, 20-21.641