Apport-cession : la location meublée constitue-t-elle un réinvestissement économique ?
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Le 22 octobre 2010, l’associé unique de la société Financière B lui a apporté les 308 titres qu’il détenait dans le capital de la société Isobat facades évalués à la somme de 1 001 000 €. La plus-value résultant de cet apport a bénéficié du sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du code général des impôts dans sa rédaction applicable.

Les plus-values d’échange réalisées depuis le 1er janvier 2000 bénéficient automatiquement d’un sursis d’imposition en cas d’apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés (article 150-0 B du CGI). Toutefois, depuis le 14 novembre 2012, ce dispositif ne s’applique plus aux apports de titres à une société soumise à l’IS lorsqu’elle est contrôlée par l’apporteur des titres. Dans une telle hypothèse, le régime du report d’imposition s’applique de plein droit. Ce report d’imposition prend fin notamment lors de la cession à titre onéreux des titres apportés à la société bénéficiaire dans un délai de trois ans à compter de l’apport sauf si cette société s’engage à réinvestir au moins 60% du produit de la cession, dans un délai de 2 ans, dans une activité économique. Le 11 novembre 2010, la société Financière B bénéficiaire de l’apport, a revendu ses parts pour un prix identique à leur valeur d’apport. Le prix de cession a servi à acquérir en février 2014 un plateau à aménager à Saint-Etienne en vue d'une location en meublé. Pour rappel, le législateur a entendu faciliter les opérations de restructuration d’entreprises par l’octroi automatique d’un sursis d’imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations ne dégageant pas de liquidités. L'opération par laquelle des titres d'une société sont apportés par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, répond à l'objectif économique ainsi poursuivi par le législateur lorsque le produit de cession fait l'objet d'un réinvestissement à caractère économique, à bref délai, par cette société. En revanche, en l'absence de réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable. Dans cette affaire, l’administration fiscale a mis en œuvre la procédure de répression des abus de droit en estimant que l’apporteur avait abusivement bénéficié du sursis d’imposition en ne réinvestissant pas le produit de cession des titres dans une activité économique. Elle a ainsi imposé la plus-value réalisée par ce dernier au moment de l’apport des titres. Par un jugement du 31 juillet 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de l’apporteur tendant à la décharge des cotisations supplémentaires mises à charge. La cour d’appel a rejeté l’appel formé contre ce jugement, l’apporteur a formé un pourvoi en cassation. Le Conseil d’Etat retient qu’une activité de loueur en meublé ne peut être regardée comme un investissement à caractère économique que si cette activité de location est effectuée par le propriétaire dans des conditions le conduisant à fournir une prestation d'hébergement ou si elle implique pour lui, alors qu'il en assure directement la gestion, la mise en œuvre d'importants moyens matériels et humains. Dès lors qu’il n’est pas démontré que l'activité de location en meublé en cause aurait été assortie de prestations para-hôtelières ou aurait été exercée dans des conditions d'exploitation telles qu'elle aurait impliqué des charges de gestion conséquentes pour l’apporteur, l’acquisition par l’apporteur, en février 2014, d'un plateau à aménager à Saint-Etienne en vue d'une location en meublé ne pouvait être regardée comme un investissement économique. L’administration est fondée à imposer la plus-value au moment de l’apport des titres. Dans cette décision, le Conseil d’Etat exclut la location meublée classique comme cas de réinvestissement économique au sens de l’article 150-0 B du CGI, cette activité étant expressément exclue des activités économiques éligibles au remploi par le BOFIP (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60-20 n°110). Toutefois, le Conseil d’Etat semble admettre l’éligibilité des activités para-hôtelières et des activités où le propriétaire assure directement la gestion avec la mise en œuvre de moyens matériels et humains importants. En d’autres termes, il semble admettre la location meublée comme activité économique lorsque le loueur s’implique personnellement dans l’activité, lorsqu’il exerce cette activité dans des conditions quasi-professionnelles (Conseil d’Etat, 3ème et 8ème chambres réunies, 19 avril 2022, n°442946).